Dominique Lemaître quatuors à cordes

''Pour voir la nuit fléchir'' , premier quatuor à cordes 

''Lignes fugitives'', deuxième quatuor à cordes 

''Sur l’île ovale de couleur bleue'', pour soprano et quatuor à cordes 

Quatuor Stanislas : Laurent Causse Bertrand Menut (violons) Marie Triplet (alto) Jean de Spengler (violoncelle)

Kaoli Isshiki, soprano

Enregistrés salle Poirel à Nancy du 27 au 29 juin 2018. 

Forlane (mars 2019)

Le quatuor à cordes est  considéré comme une des formations majeures de la musique de chambre. Il n’est donc pas étonnant que les quatuors d’un compositeur jalonnent son itinéraire. C’est le cas, lorsque l’on observe le catalogue de  des œuvres de Dominique Lemaître, d’autant que l’écriture de  ses  trois  quatuors à cordes s’étend sur vingt-quatre années (de 1991 à 2015).

Créé en 1992 par le Quatuor Margand, Pour voir la nuit fléchir sera joué à plusieurs occasions par cette formation dans le cadre d’une résidence en Haute-Normandie puis au festival de musique de chambre du Château de Grignan. Elle sera ensuite reprise de nombreuses fois par le Quatuor Onyx notamment lors d’un concert donné à la Cité de la Musique, ainsi que  par le Quatuor Stanislas à Nancy en juin 2017. C'est au festival “Normandie Impressionniste” que le Quatuor Onyx  créera le second quatuor intitulé Lignes fugitives, qu'il rejouera  souvent en concert avant qu’elle ne soit reprise par le Quatuor Stanislas en 2015 salle Poirel à Nancy. La même année,  le Quatuor Stanislas et la soprano Kaoli Isshiki  donneront  en création mondiale Sur l’île ovale de couleur bleue dans le cadre des “Journées Européennes du Patrimoine” à Fécamp, avant de le reprendre à Nancy en décembre 2017.

 

 

Revue de presse: 

RESMUSICA (7 JUILLET 2019)

LES CORDES SENSIBLES DE DOMINIQUE LEMAÎTRE 

par Michèle Tosi

 Forlane Dominique Lemaître (né en 1953) : Sur l’île ovale de couleur bleue pour soprano et quatuor à cordes ; Lignes fugitives pour quatuor à cordes ; Pour voir la nuit fléchir pour quatuor à cordes. Kaoli Isshiki, soprano. Quatuor Stanislas. 1 CD Forlane. Enregistré en juin 2018 à la Salle Poirel de Nancy. Livret bilingue français/anglais. Durée : 60:00

Avec une écriture et une ligne esthétique qui s’écartent sensiblement du modèle du genre, les trois quatuors de ce nouvel album monographique de Dominique Lemaître nous font traverser des contrées sonores insoupçonnées sous les archets du Quatuor Stanislas. Renonçant à l’écriture dialogique des quatre cordes au profit de trames sonores qu’il inscrit dans une temporalité singulière, Dominique Lemaître s’intéresse à la ligne et ses déploiements dans un espace qui se construit à mesure. Les titres poétiques, Pour voir la nuit fléchir, Lignes fugitives, Sur l’île ovale de couleur bleue, font écho à une musique évocatrice où les textures et le mouvement sont des données essentielles de la composition. C’est l’énergie qui est à l’œuvre dans Lignes fugitives(2009) : énergie cinétique propulsant les figures rubans dans l’espace ; énergie du son, lorsque les quatre cordes, ancrées sur une seule note qui circule d’un pupitre à l’autre, en font varier les couleurs, l’allure et l’entretien. Dans Sur l’île ovale de couleur bleue (2015), la pièce la plus récente de l’album, Lemaître confie la ligne conductrice à une voix de soprano – envoutante Kaoli Isshiki – entrainant dans son sillage les quatre cordes qui lui confèrent tout à la fois une texture, une profondeur et une envergure spectrale. La langue inventée, les intonations modales et le rythme litanique donnent à l’ensemble une allure de rituel aux couleurs archaïsantes. Des voix fantômes semblent se fondre aux couleurs des cordes graves dans Pour voir la nuit fléchir (1991), une pièce puissamment expressive et d’un seul flux. Lemaître y tisse une polyphonie de lignes mouvantes dont il fait fluctuer l’éclairage. Comme dans Lignes fugitives, un travail très fin est opéré sur la matière et les textures, telles ces couleurs diaphanes (les premiers rayons du jour) au terme de la trajectoire, obtenues par les sons harmoniques des violons. Le Quatuor Stanislas allie fluidité du jeu et synergie des archets, ampleur du son et précision du détail, pour servir au mieux cette musique de timbres toujours en quête d’expression.

Note de lecture de Bernard Grasset

22 septembre 2019

Dominique Lemaître, Quatuors à cordes, String quartets, Forlane, 2019 (distributeur Dom disques) (Quatuor Stanislas, Kaoli Isshiki, soprano).

L’œuvre de Dominique Lemaître, ce musicien ami des poètes, s’inscrit notamment dans l’héritage du courant spectral français (Tristan Murail, Gérard Grisey…) et dans celui d’Henri Dutilleux qui alliait clarté et mystère. Il y a dans sa musique un mouvement ascensionnel, une recherche de suspension du temps, un silence habité de lumière. S’il aime privilégier les instruments à vent (flûte, clarinette…), l’art du quatuor à cordes lui permet d’explorer les richesses cachées du violon et du violoncelle. Son écriture, qui témoigne d’un sens de l’infini, du sacré, est à la fois contenue, poignante et scintillante.

Trois quatuors, constitués d’un seul mouvement, nous sont donné à écouter ici : Sur l’île ovale de couleur bleue (2015), Lignes fugitives (2009) et Pour voir la nuit fléchir (1991). Dans le premier quatuor, la voix, qui joue le rôle d’un véritable instrument, se situe au centre d’un voyage dans l’espace, entre cri et silence, clarté et angoisse. L’auditeur se trouve plongé dans l’intériorité comme aimanté par l’infinité. Le second quatuor invite à un nouveau voyage sidéral. Une cascade de lumière ruisselle à la fenêtre. De l’infime surgit l’essentiel. Dans le dernier quatuor, un monde nocturne nous est dépeint. À travers le récit comme d’années lointaines, alto, violons et violoncelle nous dévoilent un horizon secret, des cimes tourbillonnantes de neige.

Brefs, denses, intenses, mêmes et différents apparaissent ces trois quatuors qui sont autant de variations sur l’indicible. Il y a un souffle serein et tragique qui les parcourt. Des étincelles surgissent au seuil de l’énigme du cosmos. La musique stellaire de Dominique Lemaître, litanie de l’âme, arpèges du corps, nous invite à rêver d’un autre pays qui murmure au cœur de nos silences. Un disque de quatuors vraiment à découvrir.

23 juin 2019.

Musikzen (février 2021)

Nocturnal

La galaxie enchantée du monde infinitésimal de Dominique Lemaître

Influencé par le courant spectral (Ligeti, Scelsi…) et par l’ascétisme de Feldman et George Crumb, Dominique Lemaître (né en 1953) privilégie le son étiré et soutenu, reflet d’une vibration intérieure et fugitive, à l’image de ce récent quatuor à cordes avec soprano Sur l’île ovale de couleur bleue, de 2015. La voix, omniprésente et éthérée – la soprano Kaoli Isshiri – psalmodie quelque ancienne mélopée inintelligible imaginée à partir de la série de tapisseries La Dame à la licorne (XVème siècle) conservées au Musée de Cluny, à Paris. « Un chapelet de voyelles colorées et de phonèmes plus ou moins percussifs », comme l’écrit Pierre Albert Castenet, biographe du compositeur, irradié par le mouvement souple et aérien des cordes du Quatuor Stanislas. Vingt ans plus tôt, Pour voir la nuit (1991) dévolu à un seul quatuor à cordes, fascine tout autant par son coloris faussement statique, avec ses effets microscopiques d’hétérophonie où les sons glissent en parallèle sous l’archet, se fondent et se disjoignent, créant une dynamique inouïe. Autre quatuor à cordes, Lignes fugitives (2009) se déploie lui aussi sur une trame spectrale, plus heurtée, avec des effets de tournoiement isolés dans un espace ouvert sur l’infini. À la fois mystérieux, nébuleux et sensible, du monde de Dominique Lemaître surgit une galaxie enchantée.             

              Franck Mallet